Comment être chaleureux dans la relation d’aide

 « On peut être humain sans être professionnel, mais on ne peut pas être professionnel sans être humain. »  Thierry Tournebise  

La chaleur humaine est ce que l’on apprécie le plus de ressentir chez l’autre. Particulièrement lorsqu’une personne est en souffrance physique ou psychique.

C’est à partir du constat qu’un grand nombre de professionnels de la relation d’aide ressent du mal-être face à la souffrance de l’autre que j’aborde ce sujet. Car tout mal-être entraine une fermeture de la personne, alors que l’ouverture est nécessaire pour dégager de la chaleur humaine.

Le mal-être ressenti face à une personne en souffrance, est le plus souvent lié à une mauvaise posture, elle-même en lien à la méconnaissance des mécanismes relationnels. Être chaleureux est un savoir-être. Une attitude qui devrait faire partie des compétences requises pour un grand nombre de professionnels. C’est une compétence à part entière qui peut être enseignée par l’apprentissage de la communication.

Chaleur humaine ou froideur

Face à la chaleur humaine, la personne aidée se détend, car elle se sent considérée. Un positionnement qui favorise l’écoute et la compréhension. La confiance s’installe et les échanges sont harmonieux et agréables. C’est un état d’ouverture.

À l’inverse, lorsque lorsqu’il n’y a pas de chaleur humaine, c’est la froideur qui est ressentie par l’état de fermeture. C’est un état d’insensibilité. Un état d’être désagréable autant pour celui qui le vit que pour celui qui le subit. Un comportement fermé à l’écoute et à la compréhension.

Une dame âgée, qui vit dans un établissement d’accueil de personnes âgées, se voit contrainte de devoir porter des couches alors qu’elle n’a pas problème d’incontinence. Elle est parfaitement consciente de ce qu’on lui impose et manifeste quotidiennement son désaccord de la manière dont elle se voit traitée. Mais les soignants sont fermés à l’écoute de ce que ressent cette femme. Personne n’entend, ni ne lui dit entendre à quel point elle peut se sentir humiliée, indignée, révoltée et incommodée par l’inconfort de ces couches. Le manque d’écoute rend inhumain et peut générer des formes violentes de maltraitance.

Cette situation est autant désagréable à vivre pour le soignant que pour la personne bénéficiaire de ses soins. L’un utilise la force pour parvenir à son objectif (qu’elle soit verbale ou physique) et l’autre l’agressivité pour tenter de se faire entendre.

Si cette femme se trouve dans cet établissement, c’est parce qu’elle est en difficulté. C’est alors une souffrance supplémentaire à sa situation d’origine qui lui est infligée.

Cette situation de double souffrance est courante et pas assez prise en considération comme étant importante à éviter. Elle peut être vécue par exemple au moment de l’information d’une information grave. Au choc de l’annonce de l’information, s’ajoute parfois le choc de la manière dont cela a été annoncé.

Lorsque la personne qui aide génère de la souffrance, c’est quand son geste vise seulement à faire quelque chose et oublie qu’elle le fait à quelqu’un. L’être humain se trouve alors chosifié, quelque chose sur quoi on doit intervenir ou à qui il faut apporter une information. Le problème à résoudre devient l’objectif principal et la blessure de l’annonce ou de la manière dont le patient est traité n’est pas assez considéré.  C’est alors que l’aide apportée perd une grande partie de son efficacité.

Tous ceux qui travaillent dans la relation d’aide, (au service de l’autre, dans les métiers de soins, aide sociale, justice, bénévoles d’association, enseignants…) la grande majorité d’entre eux, ont un élan sincère d’être bienveillant. Ce qui leur manque, c’est de savoir comment s’y prendre pour y parvenir.

La froideur de la distance

Les personnes qui aident se trouvent souvent livrées à des difficultés de positionnement face à la souffrance de l’autre. Elles tentent de suivre des conseils répétés couramment, sans le moindre questionnement sur leur non-sens.

Par exemple, du fait qu’il faudrait maintenir une distance face aux personnes en souffrance. Ce conseil de positionnement est courant, y compris pour les « psy » (ce terme regroupe les métiers de psychopraticiens, psychothérapeutes, psychologues et psychiatres). Une croyance qui a profondément pénétré les mentalités. Au point que même des personnes aidées sont convaincues que la distance doit faire partie des pratiques professionnelles. Lorsqu’une personne en arrive à penser qu’il est dérangeant, étrange, pas normal ou même pas éthique qu’un psy par exemple, puisse être ouvert et chaleureux, cela relève du non-sens !

Distance et empathie ne sont pas compatibles

L’inconvénient, c’est que la moindre distance engendre de la froideur. Cette froideur est désagréable pour celui qui la ressent. Dégager de la chaleur humaine devient impossible si la moindre distance psychique est placée avec l’autre.

Et puis, en même temps que le conseil de distance est important à mettre en place, il est conseillé de manifester de l’empathie*. Voilà un mot qui a été divulgué auprès de tous les professionnels de la relation d’aide à mettre en application.

J’ai formé de nombreux soignants. Si ce mot est bien connu de tous, c’est la définition de ce mot et la mise en application qui sont généralement méconnus. Chacun m’a donné sa définition, selon sa propre compréhension. Et chacun fait comme il peut pour appliquer cette directive sans manuel précis d’utilisation. Force est de constater qu’il manque généralement les bases. C’est comme si l’on disait qu’il faut utiliser des fenêtres, alors qu’il manque les murs pour qu’elles s’appuient dessus.

La prouesse des personnes qui aident serait donc de parvenir à mettre une distance envers les autres tout en étant dans l’empathie ! C’est une prouesse car ce sont deux positionnements opposés. L’un étant un état de fermeture et l’autre d’ouverture. Impossible d’être les deux à la fois !

En fait, les recommandations transmises manquent de précisions importantes pour qu’elles aient du sens. C’est une conséquence directe de la méconnaissance du positionnement juste à adopter.

Congruence, authenticité et sincérité

Si la distance est conseillée aux professionnels, c’est pour leur éviter de se sentir vulnérables. Ce serait donc une stratégie pour qu’ils se protègent du mal-être qu’ils éprouvent face à la souffrance des autres.

Mais aucune distance n’est nécessaire face aux autres lorsqu’une personne sait se positionner. Elle n’a pas donc pas besoin de se protéger si elle ne se sent pas vulnérable. Un positionnement juste permet de rester ouvert et chaleureux face aux personnes en état de souffrance.

Il est important de préciser ici que toute tentative de paraitre chaleureux est incongrue. Ça sonne désagréablement faux. Il est insupportable de subir la fausse gentillesse de l’autre. C’est ainsi que l’on entend parfois certains « Bonjour Madame ! » émis sur un ton aigu et fort, désagréable à entendre. Il ne suffit pas d’être poli pour être chaleureux. Le ton « faussement poli » est un état distant et dénué de chaleur humaine.

Le message doit provenir du cœur pour être sincère. Le ton de la voix et le comportement sont congruents. Seul ce qui vient du cœur est authentique, sincère et chaleureux.

Vers où se tourne notre regard ?

L’indicateur du bon ou du mauvais positionnent vient du regard. Car on regarde soit quelqu’un soit quelque chose.

La vulnérabilité et le mal-être surviennent lorsque le professionnel de l’aide voit plus le problème de la personne à aider que l’être qui vit ce problème. Ainsi, le fait d’être gêné par la maladie, l’apparence physique, l’histoire, la situation de l’autre, ne pas savoir quoi dire ou quoi faire, démontrent que le regard est porté sur l’objet, le quelque chose.

Lorsque le regard est porté sur l’objet, c’est toujours désagréable et déstabilisant.  Car c’est l’information qui déstabilise et qui rend vulnérable. Ce positionnement oblige à se protéger du mal-être éprouvé. C’est inconfortable pour celui qui aide et désagréable pour la personne aidée.

Notre regard à travers nos pensées détermine toujours notre positionnement.

Si l’on regarde l’être, ce quelqu’un qui vit de ressentis, si l’on ouvre son cœur pour écouter ce qui émane du cœur de l’autre, on ne peut que se réjouir de le rencontrer, malgré ses souffrances. Il s’agit de distinguer l’être de son problème. Et c’est justement le regard que l’on porte sur l’autre qui est essentiel à son bien-être. La qualité de notre regard détermine pleinement la qualité notre de l’aide.

Aucune distance

Pas besoin de distance si le regard est tourné vers le sujet (quelqu’un) et détourné de l’objet (ce qui lui arrive, quelque chose).

Pour communiquer véritablement, il faut être en « contact » d’être à être. Être humain, c’est être capable d’entrer en contact avec un autre être pour s’adresser au cœur de l’autre. C’est dans ce positionnement que l’authentique chaleur humaine se dégage.

Le regard est porté en premier plan sur quelqu’un et en second plan son problème. C’est ainsi que l’on peut s’ouvrir, ouvrir son cœur et se sentir merveilleusement bien face à l’autre. Cet état d’ouverture et de réjouissance rend impossible la moindre distance et le besoin de se protéger. Aucun sentiment de vulnérabilité. Uniquement un sentiment de bien-être, grâce à ce positionnement juste. C’est un état autant agréable à ressentir pour celui qui aide que pour celui qui est aidé. Cela rend les échanges harmonieux possibles.

Rester distinct

Si la distance avec l’être est incorrecte, rester distinct du problème de l’autre reste important. Rester distinct, c’est rester soi-même, parce que nous ne sommes pas l’autre. Rester distinct, c’est aussi ne pas vouloir porter à bout de bras les problèmes des autres. Chacun doit rester à sa place. Ce positionnement nous permet de rester stable et solide.

À partir de notre place, sans avoir à s’identifier à l’autre, nous pouvons parfaitement entendre et comprendre à quel point c’est difficile pour l’autre de vivre ce qu’il vit.

Donc aucune raison de chercher à absorber la souffrance de l’autre, ou se déstabiliser en s’identifier à sa souffrance, ni en s’imaginant être à sa place. Il est important de rester sur l’être plutôt que son problème.

On peut alors être dans l’empathie. C’est-à-dire être à l’écoute des ressentis de l’autre, sans avoir à se mettre à sa place.

Un intervenant humanitaire vulnérable

Un intervenant humanitaire m’a confié avoir été affecté par une femme ayant été amputée dans des conditions terribles. Son mal-être provenait du fait que son positionnement oscillait entre cinq faits (tous représentant donc quelque chose) : Son histoire et comment l’amputation s’est déroulée, ensuite la situation de cette femme handicapée. À cela s’ajoutent sa douleur physique et sa souffrance psychique. Enfin, il ne peut s’empêcher de penser qu’il n’aimerait pas vivre à sa place.

D’une intention bienveillante de vouloir aider les autres, cet intervenant éprouvait un grand mal-être à exercer son travail. Il est clair que son état déstabilisé ne pouvait pas permettre à cette femme de se sentir mieux elle-même. Même si elle n’en avait pas conscience, son être souffrait de ne se sentir regardé qu’à travers son problème.

Si cet intervenant humanitaire avait appris à se positionner, il aurait été en mesure de distinguer le problème qu’a cette femme de l’être qui vit ce problème. S’il avait placé son regard sur l’être qui habite ce corps, il aurait éprouvé le bonheur de se sentir touché par elle. Cette femme qui a tant besoin de se sentir vue en tant qu’être, au-delà de son problème, aurait ressenti sa chaleur humaine. Elle aurait éprouvé un apaisement de se sentir exister.

Veuillez noter la différence entre le fait d’être touché (réjouissance à rencontrer l’autre) et le fait d’être affecté (choc psychique face à quelque chose). Se sentir touché, c’est ressentir la réjouissance d’être en contact avec l’autre, malgré son problème.

Être humain avant tout

Porter son attention sur l’être est un positionnement qui favorise les échanges harmonieux. Celui qui aide ressent un réel plaisir à exercer son métier en étant proche des individus. Lorsqu’il porte son attention sur l’être, il est naturellement attentionné.

Pour celui qui reçoit cette délicate attention, il est alors nourrit de ses besoins existentiels fondamentaux (article du blog). Cette considération lui permet de se sentir en confiance. C’est une boucle positive de plaisir partagé.

 

*Définition du mot « empathie » dans le dictionnaire Robert : « Faculté de s’identifier à quelqu’un, de ressentir ce qu’il ressent. » Larousse : « Faculté intuitive de se mettre à la place d’autrui, de percevoir ce qu’il ressent. »

Catherine Sarrade
13 janvier 2012

catherine-sarrade.com

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